mardi 28 août 2012

Le régime Assad veut semer la terreur au Liban

Tentatives d'attentat, accrochages, affrontements aux frontières... Depuis deux semaines, Damas entend clairement rappeler à Beyrouth que, même affaibli, il a les moyens de troubler la fragile paix libanaise, Par Nadia Aissaoui et Ziad Majed pour Mediapart.fr
Depuis deux semaines les accrochages à Tripoli, deuxième ville du Liban martyrisée dans les années 1980 par l’armée syrienne, s’intensifient. Des miliciens alaouites (pro-Assad) des quartiers marginalisés de Jabal Mohsen s’opposent à de jeunes sunnites (anti-Assad) des quartiers voisins (également démunis) de Bab al-Tabbané. Leurs accrochages ont fait des dizaines de morts et blessés. Le message est clair : les tensions communautaires qui ont longtemps alimenté les combats dans cette ville durant la guerre civile (entre 1975 et 1990) sont susceptibles de resurgir à tout moment avec l’escalade en Syrie. L’armée libanaise essaie d’imposer un cessez-le-feu, mais sans couverture politique et sans désarmement des milices locales, ces mesures ne peuvent être que temporaires.


En fait, ces accrochages s'inscrivent dans une longue liste de signes prouvant la volonté du régime d'Assad d’exporter sa crise au Liban : explosions, accrochages entre pro et anti-Assad dans plusieurs régions du pays, menaces et bombardements sur des zones frontalières dans le nord se multiplient depuis le début de la révolution en Syrie. Damas veut prouver que même affaibli et confronté à un soulèvement populaire, il est toujours capable de « brûler » son voisin.

Depuis 1976, date de l'invasion du Liban par l'armée syrienne (et son occupation jusqu’en 2005), le régime Assad a souvent utilisé la fragilité de son petit voisin ou opté pour sa déstabilisation (tout en prétendant le protéger) à chaque fois qu’il s’est senti isolé ou boycotté par les puissances occidentales. Mais depuis avril 2011, le président syrien, dans sa lutte pour sa survie, menace ouvertement de mettre à feu et à sang toute la région, en commençant évidemment par le Liban. 
Les accrochages de Tripoli font suite à l’arrestation, le 9 août à Beyrouth, de Michel Samaha par les Forces de sécurité interne (FSI). Cet ancien ministre de l’information libanais était l'un des conseillers du président syrien (de même qu’une des sources « d’information » que montent les relations publiques de Damas). Accusé de fomenter des attentats et des assassinats dans le pays, il a reconnu les faits et révélé que le général syrien Ali Mamlouk (chef du bureau de la sûreté nationale syrien, un des postes clés dans l’appareil sécuritaire du régime) lui avait fourni (sur ordre du président Assad) les explosifs découverts dans son véhicule.


Michel Samaha, qui sera jugé prochainement, n’a pas été soutenu par l’allié stratégique d’Assad au Liban : le Hezbollah. Le silence de ce dernier, partagé par le gouvernement qu’il domine et les blocs parlementaires auxquels il est associé, nourrit deux hypothèses.
– Soit un embarras clair du parti chiite et une incapacité à défendre ouvertement l’ami intime de son grand allié devant l’implacabilité des preuves.
– Soit un désaccord du parti qui, bien que soutenant le régime Assad, n'approuve pas la « machination » que ce dernier avait projeté de mettre en œuvre au Liban. Michel Samaha a alors été choisi, et un petit groupe d’hommes de main auraient été sollicités sans passer par le Hezbollah et ses réseaux.
Enlèvement de ressortissants syriens

Dans les deux cas, Michel Samaha est isolé, tandis que les FSI et le juge d’instruction sont confiants en la solidité du dossier qu’ils détiennent, étoffé par des vidéos, des aveux de l’accusé et un témoignage d’un agent de Samaha exfiltré.

Dans le même temps, une famille libanaise chiite pro-Hezbollah (Al-Mokdad) de la Beqaa dans l'est du pays a annoncé que son « aile militaire » avait enlevé des dizaines de ressortissants syriens au Liban (de même que deux ressortissants turcs) afin d’opérer un échange avec un des leurs, enlevé à Damas par un groupe armé accusé de faire partie de l’Armée syrienne libre.




Que révèlent tous ces événements du côté libanais ?
Premièrement, la fragilité de l’État libanais de par la faiblesse de son gouvernement et les nombreuses divisions qui entravent l’élaboration de ses consensus nationaux face à la situation régionale. Ainsi, la sécurité du pays reste encore une fois compromise et instable du fait de facteurs extérieurs.

Deuxièmement, l’hésitation manifeste du Hezbollah (malgré le soutien au régime Assad) indique probablement une réserve quant à une escalade qui risquerait de déclencher un conflit interne orchestré par Damas au Liban. Le parti chiite semble préférer (du moins pour le moment) garder sa force militaire pour contrôler politiquement le pays et en cas d'éventuelle guerre avec Israël, ou en soutien à l’Iran, si ses installations nucléaires étaient attaquées par Tel-Aviv…

En tout état de cause, la situation en Syrie affecte considérablement la stabilité du Liban, et son histoire tumultueuse avec le régime Assad (père et fils) refait surface. Cela s’ajoute à la crise que connaît son système politique confessionnel, aux divisions verticales au sein de sa société et à l’excès de puissance du Hezbollah armé. État de crise accrue d'autant que les élites politiques libanaises se révèlent une fois de plus incapables de bannir de la scène interne les retombées des développements régionaux.

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